Groupes marquants du punk

 

 


 


 

The Stranglers


 



   groupe de punk-rock et pop britannique, 1977 :
Hugh Cornwell (chanteur et guitariste), né le 28-08-1949 à Londres, Angleterre ; Jean-Jacques Burnel (bassiste et chanteur), né le 21-02-1952 à Londres ; Dave [David] Greenfield (claviériste), né le 29-03-1949 à Brighton, Angleterre ; Jet Black [Brian Duffy] (batteur), né le 26-08-1938 à Ilford, Angleterre.

Apparu en pleine révolution punk en 1976-1977, ce groupe créé dans la banlieue sud-ouest londonienne a été présenté comme un des piliers du mouvement, avec les Sex Pistols, The Clash et The Jam. S’ils avaient l’énergie et la vindicte des punks, les Stranglers étaient des musiciens déjà aguerris, dont un batteur de jazz âgé de près de quarante ans, bien éloignés des trois accords de rigueur. Comparée à celle des Doors, leur musique, inspirée de nombreux courants allant de la musique progressive au jazz en passant par la mouvance électronique, a surtout servi d’appui à des textes remarquables mêlant provocations, imprécations et prophéties. Leur univers apparaît, au final, proche du théâtre.

Élevé à Tufnel Park, dans le nord de Londres, dans une famille de la moyenne bourgeoisie, Hugh Cornwell écoute d’abord les disques de jazz de son frère aîné avant de découvrir le rock’n’roll à travers Eddie Cochran. Au lycée, il participe comme bassiste à un groupe de reprises de rock’n’roll et de blues, Emile & The Deteetives, influencé par les Kinks, où figure le guitariste Richard Thompson, qui ne tardera pas à s’illustrer au sein de Fairport Convention, avant de faire la brillante carrière solo que l’on sait. En 1968, il disparaît, partant en auto-stop vers la Suède, où il réside un an. Revenu en Angleterre, il étudie la biologie à l’université de Bristol dont il sort diplômé. Il retourne en Suède pour y faire de la recherche, participant là-bas à Johnny Sox, un groupe de rock’n’roll qui réunit des musiciens locaux et de jeunes Américains exilés pour éviter la conscription. Il repart ensuite pour Londres, où il s’installe dans un squat de Kentish Town, essayant de donner quelques concerts avec son groupe. Il met une annonce dans le Melody Maker, se disant «à la recherche d’un batteur de rock’n’roll» pour Johnny Sox. Se présente alors Brian Duffy, alias Jet Black, âgé de trente-sept ans. Fils d’un enseignant d’Ilford, dans l’Essex, celui-ci a vite abandonné l’école pour suivre un apprentissage de menuisier au milieu des années 50 ; le soir, il joue de la batterie dans des orchestres de jazz à Soho. Après plusieurs mariages et divorces , Duffy s’est retrouvé à Guildford, dans le Surrey, propriétaire d’un débit de boissons, où il est parvenu à installer une brasserie et une fabrique de crème glacée. Pendant cinq ans, son commerce est florissant, mais il s’ennuie.

Même si le groupe de Cornwell ne correspond pas à ce dont il rêve, il éprouve une sympathie immédiate pour celui-ci, et lui propose de venir s’installer au-dessus de son bar pour répéter. Ainsi, pendant quelques semaines, Cornwell, qui entraîne dans l’aventure un des Suédois de Johnny Sox, le guitariste Hans Warmling, répète avec Black. Il leur manque pourtant un bassiste. Le hasard amène Jean-Jacques Burnel. Ce garçon de vingt-trois ans, dont Jet Black pourrait presque être le père, suit des cours de karaté dans la région. Cornwell l’a pris une fois en auto-stop : il découvre, en discutant avec lui, qu’il a été formé à la guitare classique et le persuade de se joindre à son groupe comme bassiste. Burnel a une personnalité très affirmée. Fils d’un couple de restaurateurs originaires de Caen, émigrés en Angleterre au début des années 50 et qui viennent d’ouvrir un restaurant à Guildford, Burnel est un sujet brillant, mais difficile : agitateur politique dans son lycée, il en a été renvoyé pour avoir publié un magazine gauchiste. Il est également diplômé en littérature et économie de l’université de Leeds, au nord de l’Angleterre. Violent, aux allures de voyou charmeur, il dit avoir appris le karaté pour contrôler ses pulsions agressives ; motard aguerri, enfin, il est propriétaire d’un modèle Harley-Davidson de 1942.

Dès la fin 1974, Jet Black prend fermement les choses en main. Il trouve une maison à Chiddingfold, dans les environs de Guildford, où les trois musiciens s’installent. Il vend son commerce, ne conservant que la camionnette avec laquelle il livrait les glaces, et, avec le profit de la vente, investit dans du matériel. Il téléphone aux pubs à la recherche d’animation musicale et persuade ses jeunes amis que la réussite est proche. A la mi-1975, pour pallier le départ de Warmling, Cornwell met à nouveau une annonce qui amène Dave Greenfield, à l’origine un guitariste professionnel de Brighton qui avait joué dans des bases américaines en Allemagne de l’Ouest. Grand amateur de musique progressive, il propose de devenir organiste, ce que les trois autres approuvent. Cette fois, les Stranglers sont nés. Alors qu’ils ne sont encore qu’un trio, les musiciens ont commencé à enregistrer des maquettes dans un studio londonien d’abord sous le nom de Chiddingfold Chokers puis de Guildford Stranglers, avant d’abréger leur nom en Stranglers avec l’arrivée de Greenfield.

Après quelques prestations, le bouche-à-oreille commence à faire son oeuvre. Les Stranglers jouent en première partie de Patti Smith à la Roundhouse de Londres en mai 1976. Une mini-tournée à la fin de l’année débouche sur un incident dont l’origine reste indéterminée, à l’issue duquel les musiciens détruisent tout le matériel de sonorisation. Leur réputation de brutes et de casseurs est née, et les Finchley Boys, une bande du nord de Londres, se met à les suivre et à les défendre en cas d’ennuis. Un mécanicien noir de l’est de Londres, surnommé «Dagenham Dave», un autodidacte et grand connaisseur de littérature, (il a fait découvrir Rabelais à Burnel), devient alors le chef spirituel des Finchley Boys ; bientôt, il se suicidera, et on retrouva son cadavre enfoui dans la vase de la Tamise près de Tower Bridge, ce qui inspirera un titre de No More Heroes (et, d’ailleurs, une chanson du même titre à Morrissey en 1995 dans Southpaw Grammar). Régulièrement, les concerts des Stranglers se transforment en bataille rangée.


 



 

Au cours de l’été 1976, le mouvement punk explose dans les médias. Les Stranglers n’ont évidemment rien à voir avec lui. Un premier incident, pourtant, les en rapproche malgré eux. Invité à jouer, en février 1977, en première partie du groupe de blues-rock tranquille The Climax Blues Band, Cornwell monte sur scène avec un tee-shirt portant l’inscription «Fuck», inscrite avec le lettrage du sigle des voitures Ford. Le scandale est tel que le concert doit être interrompu par les organisateurs. Fin 1976, pourvus d’un contrat avec United Artists, les Stranglers publient leur premier 45 tours «(Get A) Grip (On Yourself)». Paru au début du printemps 1977, en même temps que le premier de The Clash, l’album IV Rattus Norvegicus semble, musicalement, étrangement régressif, évoquant Roxy Music, quand ce n’est pas le psychédélisme jazzy des Doors, auquel font irrésistiblement penser les longs solos d’orgue de Greenfield. Pourtant, la fureur est là, en particulier dans le jeu de basse d’une rare violence de Burnel qui, comme on l’a écrit alors, semble attaquer l’instrument avec des moufles. La voix de Cornwell est celle, non pas d’un jeune homme en colère, mais plutôt d’un adulte menaçant. Il articule fermement, froidement même. Dans «Peaches», publié en 45 tours, il récite le monologue d’un homme rendu fou d’excitation par le défilé de jeunes femmes en bikini sur la plage. Cc titre au rythme de reggae semble anticiper les textes et l’intonation des rappeurs venus dix ans plus tard («Je me promène sur les plages et je regarde les pêches»). Plusieurs titres de IV Rattus Norvegicus sont animés d’une violence bien plus authentique que la rage spasmodique de bien des suiveurs du punk-rock. Dans «London Lady», Cornwell s’en prend à une journaliste du Melody Maker avec ce refrain insolent : «Quand tu vois des miroirs, ça te donne des frissons / Tu pourrais me dire un peu ce qui a l’air de te faire tellement plaisir ?» L’authenticité des Stranglers fait vendre cet album à 200 000 exemplaires à travers le Royaume-Uni. Ils se font aussi beaucoup d’ennemis dans les médias, notamment chez des journalistes féminines qui jugent inadmissible leur misogynie éhontée. Burnel, quant à lui, n’hésite pas à user de violence physique : un journaliste qu’il juge ainsi «contre-révolutionnaire» goûte à ses talents de karatéka.

En octobre 1977, mois où David Bowie publie Heroes, les Stranglers lâchent un slogan sardonique : No More Heroes («Plus de héros»), qui fait écho au «1977» de The Clash («En 1977, plus d’Elvis, de Beatles ni de Rolling Stones»). Cet album, plus vif et tranchant que le précédent, comprend encore un titre très méprisant envers les femmes, «Bring On The Nubiles» («Amenez les vierges») et le 45 tours «Something Better Change», une de leurs rares chansons qui puisse passer pour un hymne punk. Les sentiments mêlés qu’inspirent les Stranglers ne les empêchent pas de s’imposer durablement, comme le confirme le succès des deux 45 tours suivants, publiés en 1978, «Five Minutes» et le reggae-punk «Nice’n’ Sleazy» (jeu de mots sur le fameux titre de Frank Sinatra «Nice And Easy») qui figurera dans l’excellent Black And White (1978). Toujours aussi noir dans l’inspiration (aux images de rats et d’égoûts des premiers titres se sont substituées des visions de guerre, d’apocalypse et de couvre-feu), cet album est beaucoup plus riche et varié musicalement. Dans la foulée de leur succès européen, les Stranglers s’embarquent pour une tournée mondiale, occasionnant la publication de Live (X-Cert) en mars 1979, témoignage de l’ambiance électrique qui règne lors de leurs concerts. En 1979 paraît aussi le premier album solo de Jean-Jacques Burnel, Euroman Cometh, qui témoigne de sa passion pour la politique : il s’agit d’un plaidoyer en faveur de l’Europe (et, déjà, de la réunification de l’Allemagne), mais aussi de son goût pour l’expérimentation électronique : il y chante en anglais, allemand et français. De son côté, Cornwell publie Nosferatu (1979), enregistré et coécrit avec Robert Williams (un batteur qui a joué avec Captain Beefheart), et où apparaissent deux membres de Devo. La musique y est saccadée à l’extrême, délibérément provocante. Ces ouvertures musicales bénéficient aux Stranglers et vont leur permettre de s’éloigner de plus en plus de la formule étriquée des deux premiers albums. Le premier signe était d’ailleurs venu du 45 tours qui accompagnait Black And White, «Walk On By», reprise d’un tube pop signé Burt Bacharach et Hal David et popularisé au milieu des années 60 par Dionne Warwick.

A partir de The Raven (1979), les Stranglers vont s’affirmer de plus en plus comme un groupe pop, mais d’un genre bien particulier. Ils publient une série de 45 tours excellents où la violence se fait sourde, et où mélodies, rythmes et sonorités sont puisés dans une très large culture musicale, allant du jazz à la musique électronique de Kraftwerk. Porté par le 45 tours «Duchess», sorte de «Video Killed The Radio Star» à la manière du rock garage, The Raven est riche d’une grande diversité de climats ; il comporte quelques chansons qui resteront parmi leurs plus marquantes, comme «Don’t Bring Harry», «Ice» et «Dead Loss Angeles». The Raven demeure un des meilleurs albums des Stranglers, surpassé seulement par La Folie, qui sera pubié en 1981 après la parenthèse expérimentale de The Gospel According To The Meninblack (1981), un déconcertant disque à thème visant à dénoncer l’emprise de la religion chrétienne sur les esprits. La Folie demeure à la fois leur sommet artistique et leur plus grand succès public. Le très aérien «Golden Brown» (en argot «héroïne»), où un synthétiseur à la sonorité de clavecin reproduit un rythme en 3/4 et 5/4 emprunté à Dave Brubeck, atteint le n°2 en Grande-Bretagne au début 1982. Le texte de «Don’t Bring Harry» («Ah! Tu as rencontré Harry / Je le vois à tes yeux»), fait allusion de façon quasi transparente à la consommation d’héroïne de Cornwell qui, début 1980, a été emprisonné trois mois à Londres pour détention de drogue. Même la chanson intitulée «La Folie», d’une durée de six minutes et interprétée en français par Burnel, trouvera le moyen de se classer dans le Top 50 britannique. Dans cette veine sortira encore le 45 tours «Strange Little Girl», une ballade acide à la Kinks qui boucle de manière ironique le contrat des Stranglers avec EMI (récents acquéreurs de United Artists), puisque ses responsables avaient refusé une maquette de cette chanson en 1975. En 1982, enfin, Jean-Jacques Burnel et Jet Black produisent l’album Seppuku du groupe français Taxi Girl.


 



 

Feline (1982) est le premier album à paraître dans le cadre d’un nouveau contrat avec Epic. Il présente une collection de chansons traversées d’ambiances de synthétiseur cotonneuses et d’entêtantes guitares espagnoles. Le 45 tours «European Female» conserve ce ton feutré et insidieux, désormais la marque de fabrique des Stranglers. Pour Aural Sculpture (1984) et Dreamtime (1986), dont est extrait l’excellent «Always The Sun», l’inspiration ne clignote plus qu’à de très rares occasions. Un des derniers titres remarquables des Stranglers paraît cette année-là : «Nice In Nice», souvenir d’une émeute qui avait eu lieu en 1980 à Nice, à la suite de l’annulation à la dernière minute d’un concert, émeute conclue par l’arrestation collective des musiciens. Après la parution en 45 tours, début 1988, d’une reprise sans intérêt de l’«All Day And All 0f The Night» des Kinks, les Stranglers publient le live All Live And All 0f The Night. Un dernier album, 10 (1990) n’aura pour se distinguer qu’une vaine reprise du «96 Tears» de ? (Question Mark) And The Mysterians, néanmoins classée dans le Top 20. Il marquera la fin des Stranglers à proprement parler, puisque Cornwell décidera de s’en aller début 1991.

Depuis le milieu des années 80, les Stranglers étaient devenus l’ombre d’eux-mêmes, les musiciens s’étant dispersés à travers divers projets personnels. Après avoir collaboré en 1983 avec Greenfield pour la musique d’un film français de Vincent Coudanne, Écoutez vos murs, Burnel a enregistré en 1988 un second album solo, Un jour parfait, avant de s’associer avec Greenfield et des musiciens amis pour créer les Purple Helmets, dans le but de faire revivre en s’amusant des classiques des années 60, comme «She’s Not There» des Zombies ou «Wooly Bully» de Sam The Sham, publiant Ride Again (1988) et Rise Again (1989). Après le départ de Cornwell, les Stranglers démarreront à nouveau avec le chanteur Paul Roberts (né le 31-12-1959 à Londres) et l’ex-guitariste des Vibrators John Ellis (né le 01-06-1952 à Londres). Ils enregistreront en 1992 un album unique pour China, Stranglers In The NightAbout Time (1995) et Written In Red (1997) pour les disques When. De son côté, Cornwell a publié les disques solo Wired (1993), et Guilty (1997). Le peu d’écho suscité par tous ces enregistrements récents montre à quel point les Stranglers furent, à la différence de bien des associations de circonstance, un authentique groupe profondément lié, avec toute la magie inimitable que cela pouvait entraîner.



 

 

 

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